Le droit ne s'invente pas

David Ruzié • 19 octobre 2015

« Le Droit a-t-il le droit de dire ? »

Texte de David RUZIE, professeur émérite des Universités et spécialiste du Droit International.



Le droit ne s'invente pas...


D’aucuns s’étonneront de cette lapalissade et pourtant, à la lecture de nombreux sites du Web, voire des medias et – pire encore – des déclarations de certains responsables (?) politiques, à propos du conflit israélo-palestinien, on en viendrait à douter.


Du côté palestinien, on a inventé un « droit de retour » dans l’ancienne Palestine sous mandat, donc également en Israël, et l’appellation de « réfugiés », au profit de personnes n’ayant jamais vécu sur ces terres. Or, jamais on n’avait admis que la qualité de réfugié puisse se transmettre en quelque sorte, par voie d’héritage. Tel a été le cas, aussi bien en Europe, au lendemain des bouleversements territoriaux dus à la seconde guerre mondiale, qu’en Asie, par exemple lorsque des millions d’hindous dans un sens et de musulmans dans l’autre sens ont dû quitter leur habitation, lors du partage de l’Inde.


Qu’à cela ne tienne.. Qui ne tente rien n’a rien...


Or, en droit international, il peut y avoir certaines spécificités régionales, mais pas un tel particularisme : la notion de réfugié est une notion universelle, qui n’a jamais reçu une telle acception de droit transmissible. On est réfugié, parce que l’on a dû quitter un pays, mais on ne devient pas réfugié parce que l’on est descendant d’un réfugié . C’est en quelque sorte une qualité « personnelle ».


En réalité le but recherché est de contester la légitimité du droit à l’existence de l’Etat d’Israël. Et, pourtant, celui-ci peut se réclamer, avec plus de poids que les Palestiniens, du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » vu l’ancienneté de la présence de Juifs sur la terre de leurs ancêtres, alors que la notion de « peuple palestinien » n’est apparue que très récemment (on n’en parlait même pas au moment du partage de la Palestine en 1947). Il ne faut pas confondre nationalisme « arabe » et nationalisme « palestinien ».


Car, il est évident qu’admettre le « droit » à une présence de millions de musulmans dans les limites de l’Etat d’Israël, au motif que quelques centaines de milliers de musulmans habitaient il y a près de 70 ans, cette contrée conduirait, à très court terme, à la disparition de l’Etat d’Israël. Or, celui-ci a vocation à être, comme l’écrivait, par anticipation, Théodore Herzl, à la fin du XIXème siècle, l’ « Etat des Juifs » (Judenstaat). Ce qui ne signifie pas pour autant, la réalité le prouve, l’interdiction d’établissement au profit de non-Juifs (qui représentent, presque de manière constante, 25% de la population d’Israël). Alors que, dans les projets d’Etat palestinien, aucune place ne serait admise pour des Juifs.


Au lieu d’assimiler, en 1975 le sionisme au racisme, l’Assemblée générale des Nations Unies aurait été mieux inspirée ( ?) de mettre en garde l’Islam contre le racisme à l’égard des Juifs...


Vainement, cherchera-t-on à s’appuyer sur la résolution 194, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 11 décembre 1948 (à une époque où il y avait de vrais « réfugiés » au nombre d’environ 500 à 700 000 et non pas plusieurs millions comme se réclament, aujourd’hui, de cette qualité des personnes sans liens personnels avec l’ancienne Palestine).


En effet, dans le point 11 de cette résolution, l’Assemblée générale « décide » (formule inexacte, car ladite Assemblée n’a aucun pouvoir de décision en dehors de son organisation interne ; elle ne peut émettre que des « recommandations ») « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible » (souligné par nous : donc on ne peut qualifier de réfugié qu’une personne, qui a dû quitter son foyer et non les ayants droit d’une telle personne). De plus, l’Assemblée précisait qu’elle visait les réfugiés qui désirent « vivre en paix avec leurs voisins » (ce qui n’a malheureusement jamais été le cas, les « réfugiés palestiniens », qui rêvent de prendre une revanche sur l’ « ennemi sioniste »).


Si les Palestiniens ne peuvent guère s’appuyer sur une forte majorité pour défendre une telle conception des « réfugiés », il n’en est, malheureusement, pas de même d’une autre erreur couramment répandue, y compris dans les pays occidentaux et en France en particulier. On ne cesse, effectivement, d’entendre des appels au retour aux « frontières d’avant 1967 », alors que ces frontières n’ont jamais existé.


En effet, l’accord d’armistice, signé par Israël et la Jordanie, précise expressément que la ligne de séparation des forces n’a pas valeur de frontières et ne pourra pas être revendiquée comme telle dans le futur. Il s’agit d’une simple ligne de cessez-le-feu. L’article II-2 de l’accord du 3 avril 1949 est très clair : « les dispositions du présent accord étant dictées exclusivement par des considérations militaires, (qu')aucune disposition du présent Accord ne porte en rien atteinte aux droits, revendications et positions de l'une ni de l'autre Partie dans le règlement pacifique et final de la question palestinienne »


D’ailleurs, la fameuse résolution 242 adoptée par le Conseil de Sécurité, en novembre 1967, au lendemain de la Guerre de Six jours, invitant, dans le texte original anglais au retrait « de » (from) territoires (alors que la version française évoque le retrait « des » territoires, donc de tous les territoires placés sous l’autorité israélienne du fait de cette guerre) évoque le droit de chaque Etat de la région de vivre en paix « à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ». Cette formuleimpliquait bien que de telles frontières n’existaient pas encore.


Si la « fabrication » du droit international par les Palestiniens ne peut être honnêtement admise, il en est de même de certaines affirmations que l’on trouve, fréquemment, sur des sites pro- israéliens, sans que pour autant, à ma connaissance, ces fausses affirmations aient été, jusqu’à présent reprises, par un gouvernement israélien quel qu’il soit.


Tout d’abord, s’agissant des textes pouvant être revendiqués pour justifier une revendication sur l’ensemble du territoire situé entre la Mer méditerranée et le Jourdain, il y a lieu d’écarter la déclaration Balfour, émanant du ministre britannique des affaires étrangères le 2 novembre 1917.


En effet, cette lettre consacrait, certes, l’appui de la Grande-Bretagne à « l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif ». Mais rien dans cette Déclaration, à laquelle se référèrent, en avril 1920, à San Remo, les représentants des différents Etats ayant combattu l’Empire ottoman, en confiant à la Grande Bretagne le mandat d’administrer la Palestine, n’indiquait que ce Foyer s’étendrait sur la totalité du territoire allant de la mer au fleuve.


Le seul acte ayant force juridique est l’acte formel de mandat que la Société des Nations adopta, en 1922, pour confier, officiellement, un mandat à la Grande Bretagne. Or, cet acte, qu’on le veuille ou non, prit en considération le fait qu’entre 1920 et 1922, la future Puissance mandataire avait divisé le territoire, qui allait lui être, formellement confié, en deux : la Palestine proprement dire d’une part et la Transjordanie d’autre part. De telle sorte que, pratiquement le Foyer national juif n’avait plus vocation qu’à exister dans la seule Palestine, délimitée par la Mer méditerranée à l’ouest et par le Jourdain à l’est.


L’autre erreur, couramment véhiculée par les médias pro-israéliens, voire reprise à leur compte par certains ministres israéliens (mais pas tous) c’est de soutenir qu’en l’attente du règlement du conflit, Israël a le droit de construire librement dans les Territoires.


En effet, s’il n’y a aucune règle formelle du droit international qui interdise cette politique, contrairement à l’affirmation régulièrement proclamée même par des Etats, voire l’ONU, cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit permise. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, en droit international, tout ce qui n’est pas interdit n’est pas nécessairement permis. Il faut, effectivement, tenir compte des droits éventuels des Etats (existants ou à venir), qu’il y a lieu de protéger.


Israël ne peut, à mon avis, s’appuyer sur aucun principe juridique, qui validerait une telle politique, de la même façon que rien n’autorise les Palestiniens à prétendre que toute la Judée-Samarie, voire tout l’espace de terre entre la mer et le fleuve leur revient.


Certes, l’histoire peut conforter certains droits, mais elle ne peut les créer de toutes pièces.


Affirmer que la Judée et la Samarie ont, à un moment donné de l’histoire, été des terres juives ne doit pas faire oublier qu’à un autre moment, la souveraineté d’un Royaume juif a été limitée à Jérusalem et ses alentours. Donc, le « Grand Israël » n’a existé qu’à un moment de l’histoire et ne peut soutenir la revendication d’extrémistes juifs.


"Enfin c’est juste mon avis" d’universitaire, qui a enseigné le droit international pendant 34 ans.



David Ruzié



David Ruzié est professeur émérite des Universités, spécialiste du Droit International. Cet article, qu'il nous a autorisé à reproduire, a été initialement publié dans MiKhav Hadash, Revue de la Communauté Massorti.

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