Marianna Adameczek

Fabienne Dahan • 17 avril 2014

Compte-rendu lors de sa venue à Paris le 16 avril 2014, au Medem

A n’en pas douter, la date du 16 avril 2014 restera marquée pour les nombreux participants venus ce jour-là au Medem écouter Mme Marianna Adameczek née Blima Kurcant, seule rescapée d’un village proche de Lukow (à l’est de Lublin). Nous devons cette rencontre exceptionnelle à M. et Mme Szurek qui les ont faites venir à Paris, elle et sa fille.



Jean-Charles Szurek - du CNRS, travaillant notamment sur les relations après-guerre entre Juifs et polonais- avait visionné au Musée de l’Holocauste de Washington les 30 témoignages, dont celui de Marianna (extrait que nous avons pu visionner au Medem), du documentaire filmé Hodden Children dans le cadre des « archives Spielberg » effectuées en 1989, après la chute du mur de Berlin. M. Szurek a voulu savoir plus particulièrement ce qu’était devenue Marianna. Il a donc effectué des recherches, ce qui a abouti à une rencontre avec elle à Lukow.




Marianna est née en 1930 dans ce village de Lukow qu’elle n’a jamais quitté. Fille d’un cordonnier, elle a grandi dans une des quelques familles rurales pauvres de la région. Marianna est aujourd’hui la seule juive originaire vivant dans la région. Elle, dont les proches ont tous disparu dans des circonstances tragiques, doit la vie sauve à des paysans polonais qui l’ont cachée dans un trou.




En 1942, Marianna a donc 12 ans. Un allemand a été tué dans un village où sa mère et une de ses deux sœurs s’étaient réfugiées pour fuir une bande sévissant dans la région. En représailles, des Juifs sont assassinés le 22 septembre 1942 ; parmi eux, la mère et la sœur de Marianna. Elle-même se réfugie avec son amie Dora dans une étable à Adamov, où elles sont protégées par des paysans. Son père vient la rechercher plus tard, et durant un an, ils se cachent dans un trou avec le frère et la sœur de Marianna.




En juillet 43, le père veut sortir ses enfants dans les bois afin qu’ils s’aèrent. Ils y rencontrent une trentaine de partisans Juifs. Mais ils sont tous dénoncés : les allemands entourent le bois et tirent. Le père et la seconde sœur de Marianna sont tués. Elle-même est blessée et sa guérison se fait difficilement, dans des conditions de saleté, avec des vers, des poux.




Le frère de Marianna est tué 6 semaines avant la fin de la guerre, dans un bois alentour, elle ne sait pas où exactement. Par contre, elle sait qui sont ses assassins mais a toujours choisi de se taire par peur de représailles, surtout dans une société villageoise où tout le monde se connaît. Ce qui est sûr, c’est que ce sont des polonais qui ont assassiné le frère de Marianna.




En 1944, âgée de 14 ans, elle sort de son trou au bout de 2 ans 1⁄2 et retourne chez elle, seul lieu qu’elle connaisse. Pour survivre, elle fait des ménages chez une voisine qui la prévient qu’elle risque d’être tuée si elle reste. Elle-même a surpris des propos menaçants contre elle si elle garde sa religion et, pour sauver sa vie, Marianna, baptisée par un prêtre, se convertit au catholicisme. Elle se marie à 16 ans avec le fils de la maison et a un enfant à 17 ans, le premier des 6 enfants qu’ils auront.




Etant répertoriée sur leurs listes, les Comités Juifs viennent la chercher après guerre. Ils veulent bien l’emmener, elle et son enfant, mais pas son mari. Révoltée contre ce « marchandage », elle reste vivre auprès de son mari et tous deux travaillent en tant que petits agriculteurs. Elle gardera toute sa vie un grand ressentiment contre les Comités Juifs qu’elle appelle « les Juifs », dans un vécu de grande souffrance et d’abandon de leur part : « Ils n’ont jamais rien fait pour moi », souffrance et abandon toujours douloureusement vivaces aujourd’hui, qu’elle exprime lors de la rencontre. M. Szurek intervient brièvement pour relativiser la responsabilité de ces Comités Juifs, tout du moins en l’évaluant en regard à une subjectivité.




Le témoignage de Marianna est bouleversant. Pourtant, dans un premier temps, ce n’est pas par ses paroles mais par l’isolement, le silence frustre et le grand dénuement qui l’entourent que nous l’appréhendons. Dans l’extrait du documentaire présentant Marianna, nous la voyons travailler en silence et c’est dans ce silence inhérent à la vie rurale que nous faisons connaissance avec elle, avec son travail d’agricultrice ne nécessitant pas la parole. Pendant de nombreuses années, nous pouvons l’entrevoir, elle a dû rester très méfiante et ne compter que sur elle-même, sans pouvoir se confier ni exprimer sa grande souffrance.



« Dans son cœur » exprime-t-elle aujourd’hui, elle se sentait toujours juive tout en gardant le silence et en participant aux prières chrétiennes pour ne pas être inquiétée. Au Medem, elle garde l’attitude figée et silencieuse que nous pouvons imaginer comme étant celle où elle s’est sentie protégée de longues années durant. Puis, dès qu’elle commence à répondre à une question, elle ne peut plus arrêter d’exprimer un flot de souffrances retenues, elle- même émue par l’attention que tous lui portent dans la salle. Un grand merci à Marianna d’être venue nous transmettre son témoignage qui émeut tout autant qu’il ouvre sur de multiples questionnements. Marianna répond aux questions mais nous sentons bien que ses réponses ne pourront jamais suffire, ni à elle ni à nous.




(Il y avait des contradictions dans le récit et j’ai transmis son déroulement tel que je l’ai compris. Avec mes excuses s’il y a des erreurs)





Fabienne Dahan




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